Faut-il punir son chien ?


Les idées reçues ont la vie dure. Et parmi celles qui continuent de circuler concernant les chiens, il en est une qui s’impose encore avec force : le chien éprouverait de la culpabilité quand il a fait ce que nous considérons comme une bêtise. Le comportement canin qui est presque systématiquement convoqué pour soutenir cette affirmation, c’est cet air fameux de culpabilité dont nos amis à quatre pattes font preuve devant notre mécontentement : les yeux implorant le pardon, la queue entre les pattes, la tête rentrée dans le cou. A ce moment-là, il ne leur manque que la parole pour avouer leur « crime »…Faut-il punir son chien

Si cette attitude évoque chez nous, humains, le sentiment de culpabilité, elle n’a cependant pas le même sens pour les chiens. C’est tout simplement de l’anthropomorphisme, c’est-à-dire la projection sur l’animal d’un sentiment (ici la culpabilité) ou d’une attitude humaine. Plusieurs études scientifiques l’ont parfaitement démontré, l’une des dernières en date étant celle du Laboratoire Horowitz de recherche sur les comportements des chiens (1), publiée dans la revue « Behavioural Processes » en 2009 et intitulée « Lever l’ambiguïté du regard coupable ». Dans cette étude, les chercheurs ont filmé et étudié le comportement de quatorze chiens domestiques pour comprendre ce qui déclenchait l’attitude de culpabilité. Les mises en situation étaient volontairement variées : destruction, vidage de poubelle, vol de nourriture… Les résultats n’ont révélé aucun lien entre le comportement que nous associons à de la culpabilité et la bêtise dont le maître accusait le chien (cette bêtise étant en outre parfois faite par un chercheur et non par le chien). En revanche, ce comportement était très fréquemment lié au fait que les maîtres haussaient la voix, grondaient le chien ou semblaient mécontents. Et il était encore plus représenté par les chiens plutôt obéissants. Autrement dit, cette étude démontre, après plusieurs autres, que l’attitude du chien répond davantage à ce que le maître communique qu’aux méfaits dont ils sont accusés. Comment cela s’explique-t-il ? Tout simplement. Quand nous voyons un air de culpabilité chez le chien, nous faisons une mauvaise interprétation de son comportement.

L’ensemble des signaux corporels envoyés par le chien à son partenaire humain ne dénote pas de la culpabilité, mais une volonté d’apaisement. Le chien est un animal extrêmement sensible au langage corporel, celui de son espèce mais aussi au langage de notre corps : la dilatation des nos pupilles,  le raidissement des muscles de notre visage, la tension de nos épaules… Autant de messages qu’il perçoit instantanément et qu’il comprend comme l’expression de notre mécontentement, d’un début de colère, d’une amorce de confrontation qu’il essaie de désamorcer à sa manière canine, c’est-à-dire dans son langage à lui : en rentrant sa queue sous ses pattes, en se ramassant sur lui-même, en rabattant ses oreilles et en prenant son « air coupable ».

En langage de chien, cette attitude corporelle invite l’interlocuteur (qu’il soit chien ou humain) à se calmer, elle a pour but d’éviter l’agression. Et entre chiens, cela fonctionne souvent très bien : la menace s’interrompt, l’interaction se radoucit et les chiens passent à autre chose. Dès lors, si nous ne comprenons pas le message du chien et qu’au lieu de réagir correctement à ses signaux en nous calmant, nous décidons de le corriger ou de le punir, nous agissons de manière incompréhensible pour lui. Non seulement le chien ne fait pas le lien entre la correction ou la punition qui arrive bien après l’action interdite (2), comme le démontre notamment le professeur Roger Abrantes de l’Institut d’éthologie de Cambridge (3) mais il y a fort à parier qu’il redoute toujours plus l’arrivée de son maître à mesure des punitions qu’on lui inflige quand il a fait une bêtise en son absence.

Donc, que faire : punir ou pas ? Au vu des recherches actuelles sur le chien et de leurs résultats, il semble sage de s’en tenir à une règle simple : pas vu, pas pris. Soit vous voyez le chien agir et vous pouvez intervenir, soit vous ne le voyez pas. Mieux vaut alors s’abstenir de toute sanction, comprendre les raisons qui le poussent à agir comme il le fait et essayer de résoudre le comportement gênant en s’attaquant à sa cause.

 

(1)      https://sites.google.com/site/dogcognitionlab/home

(2)      En toute logique, pour que le chien ait conscience d’avoir mal fait, il faudrait qu’il est conscience de lui-même. Parce qu’il lui faudrait tenir le raisonnement suivant : c’est “moi” qui ait fait cette bêtise pour laquelle je suis grondé. Mais rien ne prouve que le chien ait une conscience de soi. Il suffit de placer votre toutou devant une glace pour voir qu’il ne se rend pas compte du tout que le reflet qu’il voit, c’est lui.

(3)      Roger Abrantes, « Dog language. An Encyclopedia of Canine Behaviour », Wakan Tanka Publishers, 1997.